Début octobre, la justice polonaise remet en cause la primauté du droit européen sur la constitution du pays, un des principes de base de tout membre de l’Union Européenne. Déjà haute, la tension ne cesse de grimper entre Bruxelles et Varsovie, au détriment des citoyens.
“Le gouvernement teste la patience de l’UE. La réaction doit être rapide et décisive”, estime, Marek. Ce juriste et conseiller municipal de la ville de Varsovie dénonce les actions de son gouvernement et souhaite une réponse forte de la part de l’Union Européenne. “Si l’UE fait preuve de faiblesse, le gouvernement le prendra comme un signe qu’il peut s’en tirer sur tout. Ce qu’ils ont fait est essentiellement une attaque terroriste contre l’UE sous la forme d’une décision de justice. Et vous ne négociez pas avec un terroriste”. Suite à de nombreuses réactions des institutions européennes, la cour de justice européenne a condamné fin octobre la Pologne : une astreinte d’un million d’euros par jour.
Depuis plusieurs années, le ton monte entre Bruxelles et Varsovie. Le gouvernement polonais (PiS) adopterait des réformes judiciaires controversées qui empêcheraient une indépendance de sa justice. Étudiant à Gdańsk, Bartłomiej dénonce les actions du pouvoir excecutif polonais. “Dès le début, le gouvernement « Droit et Justice » (PiS), a violé les règles d’un État démocratique. Le Tribunal constitutionnel illégal et la déformation du système judiciaire ont provoqué les premières tensions sur la ligne Varsovie-Bruxelles”. Son point de vue est partagé par Iza. La jeune femme de 24 ans travaille comme analyste de politiques européennes depuis Bruxelles et dénonce l’attitude du gouvernement actuel. “La réforme la plus controversée a été la procédure modifiée de nomination des juges au Conseil national de la magistrature. Les juges sont désormais nommés par le Sejm (chambre basse du Parlement) et non plus par la profession juridique (leurs pairs) comme c’était le cas auparavant.”
« L’Europe est ma maison »
Des quatre coins de la Pologne, des milliers de personnes sont descendues mi-octobre, dans les rues pour dénoncer la nouvelle décision du gouvernement et démontrer leurs attaches aux valeurs européennes. Krzysztof habite à Gdańsk, participer au rassemblement était une nécessité : « Je suis un Européen, je viens aussi d’une famille germano-polonaise. L’Europe est ma maison ! J’ai grandi dans une Europe unie et ouverte, je ne connais pas l’Europe d’un passé conflictuel. Je ne connais pas une Europe des égoïsmes nationaux. C’est pourquoi j’ai participé à la manifestation. » Étudiant en diplomatie, Bartłomiej a lui aussi pris part au rassemblement de Gdańsk. « J’ai participé à la manifestation parce que je ne peux pas m’imaginer vivre en dehors de l’UE. Je pense que les pays de l’UE devraient approfondir leur coopération. » À 300 kms de là, Kacper a participé lui, à la manifestation de Poznan. Il estime que ces rassemblements sont essentiels pour démontrer le sentiment européen qui existe en Pologne. « Ces manifestations sont un moyen de montrer à l’Ouest et aux dirigeants que nous voulons rester en Europe. En fait, tous ces hastags en ligne « #europa » signifient pour moi que nous sommes européens. » Près de 400 kms plus loin, un autre Kacper a lui, pris part au cortège de Katowice avec des amis. « L’ambiance était géniale car nous étions là pour montrer notre engagement envers les droits, les valeurs, les libertés civiles et la paix sur le vieux continent, garantis exclusivement par l’Union européenne.«
Ce n’est pas une première pour le jeune homme de 21 ans. L’année dernière, il avait déjà manifesté pour défendre les droits des femmes. Marek, lui aussi, l’a fait depuis Varsovie. « Nous protestons constamment depuis 2015. Nous avons organisé des manifestations contre la prise de contrôle du tribunal constitutionnel, des tribunaux, contre l’interdiction de l’avortement, les attaques visant les personnes LGBT+ et la politique climatique du gouvernement. Nous résisterons chaque fois que le gouvernement attaquera nos droits et notre avenir.«
Ces manifestations d’octobre ont dépassé les frontières de la Pologne. Ailleurs en Europe, des polonais ont montré leur mécontentement. C’est le cas de Natalia. Polonaise, elle étudie et vit actuellement à Madrid. « J’ai participé à la manifestation dimanche parce que je ne peux pas rester indifférente vis-à-vis de ce qu’il se passe dans mon pays et le fait que je ne sois pas physiquement sur place ne m’arrêtera pas. Je veux que la Pologne soit libre, ouverte, tolérante, respectueuse des vies humaines et européenne. »
Vers un Polexit ?
Avec les différents désaccords entre la Pologne et les institutions européennes, nombreux se posent cette question : Les Polonais suivront-ils le chemin des Anglais ?
Krzysztof de Gdańsk n’écarte pas cette possibilité. « Le gouvernement polonais veut conduire la Pologne hors de l’UE. Ils ne le cachent pas. Une campagne de haine contre l’UE se poursuit quotidiennement dans les médias, qui ont été politisés. Récemment lors du forum économique de Karpacz, le vice-président du Sejm, Ryszard Terlecki, a déclaré que nous devrions peut-être suivre la voie britannique, si les institutions européennes infligeaient à la Pologne une « dictature ». Ces mots ont choqué le public et la société. » Cette voie angoisse le jeune étudiant en diplomatie, Bartłomiej. Il appréhende les décisions du gouvernement : « J’ai peur que Jarosław Kaczyński soit capable de Polexit.«
Depuis Katowice, Kacper reste plus optimiste. « Je ne pense pas que le « Polexit » soit possible à 100% car tous les gens en Pologne sont conscients de notre histoire (avant et après la Seconde Guerre mondiale) et du chemin que nous avons parcouru jusqu’à maintenant, » estime t-il. Un autre étudiant de Poznan s’appuie lui, sur de nouveaux rapports qui démontreraient qu’en Pologne, le pourcentage des pro-UE serait élevé, dépassant même, celui de l’Allemagne. « La raison est que l’UE nous a aidé après la chute du communisme dans les années 90. Mais ça m’attriste de voir beaucoup de haine de la part de personnes d’Europe occidentale, de France, d’Allemagne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, qui jettent tous les polonais dans le même panier et supposent que nous détestons tous être dans l’UE.«
Depuis Bruxelles, Iza doute d’une sortie de la Pologne : le gouvernement aurait trop à perdre. « Le récent arrêt crée techniquement une voie légale pour la sortie de la Pologne de l’Union, mais le public polonais serait très impopulaire si le gouvernement donnait suite à cette décision. » Mais elle s’inquiète des conséquences de ce bras de fer entre la Pologne et les Institutions Européennes où les citoyens polonais sont les premières victimes. « Les seules options disponibles sont liées au gel des fonds européens, ce qui, en fin de compte, fera le plus de mal aux citoyens polonais (plutôt qu’au gouvernement). C’est une situation difficile, mais l’UE ne peut plus rester les bras croisés.«